EXTRAIT DES MINUTES
DU GREFFE
TRIBUNAL DE COMMERCE DE TOULON
JUGEMENT DU 27/05/2024
PARTIE(S) EN DEMANDE
– [Monsieur X]
[Adresse X],
DEMANDEUR – représenté(e) par
Maître POLITANO Jean–Baptiste – Case Palais N°323 59 Avenue Maréchal Foch 83000 TOULON
PARTIE(S) EN DEFENSE
– [Madame Y]
[Adresse Y],
DÉFENDEUR – représenté(e) par
Maître POTENZA Sandrine – Case Palais 275 58 Av Saint Just – le Mercure 1 83130 LA GARDE
– La [Société Z]
[Adresse Z],
DÉFENDEUR – non comparante
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DELIBERE
Président : Monsieur [C1]
Juges : Monsieur [C2] – Monsieur [C3] – Madame [C4] – Monsieur [C5]
Assistés lors des débats par Monsieur [C6], commis-greffier,
Décision réputée contradictoire et en premier ressort,
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe le 27/05/2024,
Minute signée par Monsieur [C1], Président et par Monsieur [C6], commis- greffier
FAITS, MOYENS ET DEMANDES DES PARTIES
CONFORMEMENT aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé pour l’exposé des faits, procédures, moyens et prétentions de [Monsieur X] à l’assignation de la SCP PELISSERO – MARCER -FIGONI, Commissaires de justice associés à CUERS (83390), qu’elle a fait délivrer le 04/10/2022 à [Madame Y] et à La [Société Z], reprise oralement à la barre de ce Tribunal à l’audience publique du 22/01/2024;
ATTENDU qu’après renvois, cette affaire a été fixée à l’audience du 22/01/2024;
ATTENDU que Maître POLITANO Jean-Baptiste, Avocat au Barreau de TOULON, pour et au nom de [Monsieur X], comparait à l’audience et maintient les termes de ses dernières conclusions;
ATTENDU que Maître POTENZA Sandrine, Avocat au Barreau de TOULON, pour et au nom de [Madame Y], comparait à l’audience et maintient les termes de ses dernières conclusions;
ATTENDU que la [Société Z] ne comparait pas à l’audience ni personne pour la représenter;
ATTENDU que le délibéré initialement fixé au 15/04/2024 a été prorogé à la date du 27/05/2024;
MOTIFS DE LA DECISION
ATTENDU que les époux [X] / [Y] ont contracté mariage par devant l’officier d’État Civil de LA CRAU (Var), le 6 avril 2013 sans contrat de mariage préalable et que les époux vivaient déjà en concubinage avant le mariage;
ATTENDU qu’antérieurement à cela, de leur union est née [Enfant XY] le [Date XY] à [Ville X];
ATTENDU que les époux, mariés depuis 9 ans, et sous le régime légal de la communauté, ne s’entendent plus et ont décidé de se séparer car la tension au sein du couple était omniprésente, et ont engagé une procédure de divorce devant le JAF du Tribunal Judiciaire de TOULON actuellement pendante;
ATTENDU qu’ils sont par ailleurs séparés de fait depuis août 2021;
ATTENDU que [Monsieur X] gérait depuis 2007 la société la [Société Z] immatriculée au RCS de TOULON sous le numéro [RCS Z] dont le siège social était sis [Adresse Z], société d’électricité générale créée en 2007 par [Monsieur X] lui–même
ATTENDU qu’outre le différend conjugal, [Monsieur X] a été malade en 2020;
ATTENDU que suite au mauvais état de santé de [Monsieur X], [Madame Y] a poursuivi l’exploitation de la société, en qualité de cogérante ;
ATTENDU qu’un acte de cession de parts sociales a été signé entre les futurs ex-époux aux termes duquel, sur les 100 parts sociales de la SARL qu’il détenait, [Monsieur X] en cède 60, numérotées de 1 à 60 pour un prix de 60 euros au total, soit 1 euro la part;
ATTENDU que [Monsieur X] a saisi la juridiction de céans afin de voir annuler la cession des titres en raison du prix qu’il estime dérisoire;
Pour [Madame Y]
ATTENDU que [Monsieur X] n’a pas établi de fondement juridique concernant la compétence de la juridiction;
ATTENDU que les actes de cession de droits sociaux sont régis par le droit commun des contrats du code civil;
ATTENDU que la cession s’est réalisée entre deux non–commerçants et est de nature civile;
A/ En faits :
ATTENDU que [Monsieur X] affirme avoir été malade et contraint à céder ses parts sous l’influence de [Madame Y];
ATTENDU que les époux vivaient séparément depuis un an avant la cession;
ATTENDU que les formalités de cession ont été préparées par le conseil de la société;
ATTENDU que l’arrêt de travail de [Monsieur X] est postérieur à la cession;
ATTENDU que l’état de santé de [Monsieur X] n’a pas influé sur sa capacité de jugement lors de la cession;
ATTENDU que [Monsieur X] n’a pas été en état de faiblesse psychique ou physique;
ATTENDU que [Monsieur X] a engagé des actions nuisibles contre la société et sa famille après la cession;
ATTENDU que il n’a pas contesté la valeur des parts mais a souhaité s’en désassocier;
B/ En droit:
ATTENDU que la cession constitue un acte de commerce et non une simple vente de produits financiers;
ATTENDU que la cession de droits sociaux est une cession de contrat, justifiant la compétence du tribunal de commerce;
ATTENDU que la cession de contrat peut être à titre onéreux sans qu’un prix soit déterminé;
ATTENDU que [Monsieur X] n’est pas fondé à demander la nullité de la cession;
ATTENDU que le prix de cession ne peut être jugé vil ou dérisoire sans preuves concrètes;
ATTENDU que [Madame Y] a contribué significativement à la société sans rémunération équitable;
ATTENDU que la cession a tenu compte des contributions non rémunérées de [Madame Y] et de la relation conjugale;
ATTENDU que l’évaluation des droits sociaux ne se limite pas au chiffre d’affaires;
ATTENDU que [Monsieur X] n’a pas prouvé la vileté du prix;
Pour [Monsieur X]
ATTENDU que le prix de la cession des parts de la [Société Z], le 30 avril 2022 à [Madame Y] ne reflète pas la valeur réelle des parts, établie à un euro par part selon le bilan au 31 décembre 2021;
ATTENDU que la cession pour un prix considéré vil sera annulée;
ATTENDU que le prix est essentiel à la vente, et son caractère dérisoire peut conduire à l’inexistence du contrat selon la jurisprudence;
ATTENDU que la nullité pour prix dérisoire vise à protéger le vendeur, principe confirmé par l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats;
ATTENDU qu’un prix sérieux est requis pour la validité de la vente, y compris de parts sociales;
ATTENDU que [Monsieur X] démontre que le prix fixé est dérisoire, justifiant la nullité du contrat;
ATTENDU que le sérieux du prix peut être établi par d’autres accords ou actes juridiques liés à la vente;
ATTENDU que l’équilibre contractuel peut dépendre d’éléments externes, mais ce n’est pas le cas de la société [Société Z] et de son environnement concurrentiel;
ATTENDU que le prix fixé est manifestement dérisoire, entachant le contrat de nullité;
ATTENDU que la valeur réelle des parts est bien supérieure à 60 euros;
ATTENDU que [Monsieur X], affaibli par sa maladie, n’a pas pu apprécier la valeur de la cession;
ATTENDU que le prix de cession de 1 euro par part ne répond pas à l’exigence d’un prix sérieux;
ATTENDU que ce prix faible ne correspond pas à la valeur économique réelle des parts;
ATTENDU que l’acte ne peut être vu comme une donation déguisée, s’exposant à l’annulation pour absence de contrepartie;
En droit
ATTENDU que l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 a donné la rédaction suivante à l’article 1169 du code Civil:
« Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. »
ATTENDU que l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 a donné la rédaction suivante à l’article 1170 du code Civil:
« Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »
ATTENDU que l’article L; 210-1, alinéa 2, du Code de Commerce dispose que:
« Le caractère commercial d’une société est déterminé par sa forme ou par son objet.
Sont commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions. »
ATTENDU que l’article L. 721-3 du Code de Commerce dispose que:
« Les tribunaux de commerce connaissent : »
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. »
ATTENDU que la jurisprudence de la Cour de cassation considère de façon constante que lorsqu’une cession de parts sociales intervient à vil prix, l’acte est entaché de nullité (Cass. Civ.ler, 24 mars 1993, numéro 90-21 462; Cass. Com. 23 octobre 2017 n°06-13 979);
ATTENDU que la jurisprudence récente de la chambre commerciale de la Cour de cassation considère précise que la nullité encourue par une cession à vil prix est relative (Cass. Com. 22 mars 2016, numéro 14 – 14. 218);
ATTENDU que la Cour de Cassation a récemment consacré la fictivité des cessions à vil prix et la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit fiscal par l’administration fiscale (Cass. Com, 7 juillet 2021, n° 19-16.446);
ATTENDU que la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt en date du 21 février 2012 a jugé qu’une cession de titre à bas prix, doit se justifier, notamment par une contrepartie d’une autre nature que pécuniaire;
ATTENDU que la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 22 mai 2008 a jugé qu’une cession de titres à un euro symbolique doit se justifier, notamment par les pertes générées par l’entreprise en raison de son passif;
ATTENDU que l’article 1240 du Code Civil dispose que:
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
VU l’acte de cession des titres de la société A.C.E. 83 du 29 avril 2022;
En l’espèce
SUR LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE TOULON
ATTENDU que la cession objet du litige porte sur les titres d’une société commerciale;
EN CONSÉQUENCES le Tribunal se déclarera compétent pour traiter du litige;
SUR LA NULLITÉ DE LA CESSION
ATTENDU qu’en dépit de la relation conflictuelle entre les co-gérants, il n’a pas été procédé à une évaluation de la société par un tiers de confiance, compétent en matière de fusions acquisitions;
ATTENDU qu’au regard du prix nominal des titres retenu pour la cession, la valeur de la société pour cette transaction est de 100€;
ATTENDU que l’écart de valeur entre la création des titres et la présente cession est de – 90%;
ATTENDU que le prix de cession est inférieur aux capitaux propres de la société tels qu’inscrits au bilan de l’année 2021;
QUE la valeur retenue pour la cession représente 0,07% desdits capitaux propres;
ATTENDU que la contrepartie de la cession est strictement pécuniaire;
QUE son déséquilibre est tel qu’il est possible de constater une absence de contrepartie;
QU‘en l’état, cette cession risque d’être considérée comme une donation déguisée;
QU‘un abus de droit fiscal serait alors caractérisé;
EN CONSÉQUENCES le tribunal retiendra que la cession des titres est intervenue à vil prix;
ATTENDU que le paiement des titres n’a pas été effectué par la cessionnaire;
ATTENDU que cet état de fait ne figure pas à l’acte de cession;
EN CONSÉQUENCES le Tribunal retiendra que cette distorsion et le manque de transparence à l’acte de cession sur la provenance des fonds est de nature à entraîner une erreur sur la personne du cessionnaire;
EN CONSÉQUENCES de la vileté du prix et de l’erreur sur la personne du cessionnaire, le Tribunal prononcera la nullité de l’acte de cession;
SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS
ATTENDU que la nature conflictuelle de la relation entre les parties dans la durée ne permet pas de déterminer clairement la causalité et la part de responsabilité de [Monsieur X] dans le préjudice qu’il dit avoir subi;
EN CONSÉQUENCES, le tribunal déboutera [Monsieur X] de sa demande de dommages et intérêts;
SUR l’article 700 du Code de procédure civile ;
ATTENDU que le Tribunal déboutera les deux parties de leurs demandes relatives à l’article 700 du Code de procédure civile;
Le Tribunal laissera les dépens à la charge du demandeur;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,
VU l’article 1169 du Code civil
VU l’article 1170 du Code civil
VU l’article L. 210-1, alinéa 2, du Code de commerce VU l’article L. 721-3 du Code de commerce
VU Cass. Civ.ler, 24 mars 1993, numéro 90-21 462
VU Cass. Com. 23 octobre 2017 n°06-13 979
VU Cass. Com. 22 mars 2016, numéro 14-14.218
VU Cass. Com, 7 juillet 2021, no 19-16.446
VU l’arrêt Cour d’Appel de Paris en date du 21 février 2012
VU l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 22 mai 2008
VU l’article 1240 du Code civil
VU l’acte de cession des titres de la société A.C.E. 83 du 29 avril 2022
SE DÉCLARE compétent pour traiter du litige;
CONSTATE la vileté du prix de cession des titres de la société A.C.E. 83 du 29 avril 2022;
CONSTATE que la distorsion entre la personne du cessionnaire et la personne émettrice du chèque de paiement de la transaction, ainsi que l’absence de mention de cet état de fait à l’acte de cession a entraîné une erreur sur la personne du cessionnaire;
PRONONCE la nullité de l’acte de cession;
DÉBOUTE [Monsieur X] de sa demande de dommages et intérêts;
DÉBOUTE les deux parties de leurs demandes relatives à l’article 700 du Code de Procédure Civile;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes;
RAPPELLE que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit ;
CONDAMNE [Madame Y] entiers dépens liquidés à la somme de 148,10€ T.T.C., dont T.V.A. 24,68€, (non compris les frais de citation);
Ainsi jugé et prononcé
Le Président
[C1]
Pour le Greffier
[C6]