Politano Avocat – Barreau de Toulon

Sur la notion de sous-cautionnement

Dans un arrêt du 9 juillet 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation clarifie deux points cruciaux du sous-cautionnement : la sous-caution ne peut pas opposer le plan de sauvegarde du débiteur principal, et l’appréciation de sa capacité à payer doit être différée au jour où le plan n’est plus respecté. Une décision aux conséquences majeures pour les garants.

Le sous-cautionnement : un mécanisme en plein essor

Le sous-cautionnement est une sûreté particulière par laquelle une personne (la sous-caution) garantit la caution principale contre le risque de non-remboursement par le débiteur principal.

Architecture en cascade :

  1.  Le débiteur principal emprunte auprès de la banque
  2. La caution garantit le remboursement à la banque
  3. La sous-caution garantit à la caution qu’elle sera remboursée si elle paie la banque

Le sous-cautionnement connaît une multiplication en pratique ces dernières années car il permet :

  • De sécuriser le recours de la caution professionnelle
  • De diluer le risque entre plusieurs garants
  • D’obtenir des financements plus importants
  • De rassurer les établissements financiers

La sous-caution se retrouve souvent « en bout de chaîne » et supporte finalement l’essentiel du risque d’insolvabilité.

Les faits : une cascade de garanties face à une procédure collective

Le montage initial (2012)

Une société de géomètres-experts acquiert un fonds professionnel libéral financé par un crédit bancaire. L’opération est sécurisée par :

  • 1 cautionnement d’un établissement professionnel au profit de la banque
  • 2 sous-cautionnements de personnes physiques garantissant la caution pour 1 million € et 2 millions €

La procédure collective (2017-2018)

Janvier 2017 : La société débitrice est placée en sauvegarde judiciaire

Avril 2018 : La caution paie la banque et se retourne contre ses deux sous-cautions pour récupérer les sommes versées

Septembre 2018 : Un plan de sauvegarde est arrêté au profit du débiteur principal

Le nœud du problème

Point crucial : l’assignation de la caution contre les sous-cautions est antérieure au plan de sauvegarde.

Les sous-cautions tentent alors deux défenses :

  1. Opposer le plan de sauvegarde du débiteur principal
  2. Invoquer la disproportion de leur engagement

Première clarification : le plan de sauvegarde est inopposable

Le principe posé par la Cour de cassation

La Cour de cassation tranche clairement : la sous-caution « ne peut opposer à la caution le plan de sauvegarde arrêté au profit du débiteur principal ».

Pourquoi cette solution ?

La sous-caution ne peut pas utiliser à son profit les exceptions inhérentes à la dette du débiteur principal envers son créancier. En effet :

  • La caution garantit la dette du débiteur principal envers la banque
  • La sous-caution garantit la créance de recours de la caution envers le débiteur

Ce sont deux créances différentes, même si elles sont liées.

L’article L. 626-11 du Code de commerce

L’article L. 626-11 du Code de commerce permet de rendre le plan de sauvegarde opposable aux garants personnes physiques. Mais cette opposabilité ne vaut que pour :

  • ✅ La caution principale qui garantit le débiteur
  • ❌ PAS la sous-caution qui garantit la caution

Les arguments qui auraient pu jouer en sens contraire

Approche unitaire : On aurait pu considérer que cautionnement et sous-cautionnement forment un « ensemble » garantissant in fine la même opération économique.

Protection de la sous-caution : Cette solution fait peser un poids très important sur la sous-caution qui se retrouve démunie face à la procédure collective du débiteur qu’elle ne connaît même pas.

Réalité économique : Tous les mécanismes visent à garantir le même prêt initial, pourquoi traiter différemment les garants ?

Une solution qui privilégie la rigueur juridique

La Cour de cassation distingue les opérations sous le prisme de l’objet de la garantie :

  • Objet du cautionnement : dette du débiteur principal
  • Objet du sous-cautionnement : créance de recours de la caution

Conséquence pratique : La sous-caution ne peut invoquer aucun des mécanismes protecteurs réservés aux garants du débiteur principal, notamment le plan de sauvegarde.

Deuxième clarification : l’appréciation de la disproportion

Contexte : l’ancien droit du cautionnement

Sous l’empire de l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation (avant 2022), une caution pouvait être contrainte de payer même si son engagement était disproportionné à la conclusion, à condition qu’elle puisse faire face à son obligation au jour de l’appel.

C’était l’exception de retour à meilleure fortune.

Exemple : Un garant ruiné au moment où il s’engage mais devenu riche ensuite doit payer.

La question temporelle cruciale

Quand apprécier la capacité de la sous-caution à faire face à son obligation ?

Options envisageables :

  • Au jour de l’assignation par la caution ?
  • Au jour de l’adoption du plan de sauvegarde ?
  • Au jour où le plan n’est plus respecté ?

La solution : appréciation différée

La Cour de cassation reconnaît que le patrimoine des sous-cautions doit être analysé au jour où le plan n’est plus respecté.

Justification : L’engagement du garant n’est réellement exigible que lorsque le débiteur principal est définitivement défaillant. Il est impossible de savoir avant si la sous-caution peut faire face.

L’articulation complexe avec l’assignation antérieure

Le raisonnement en cascade de la Cour :

  1. L’assignation est antérieure au plan → la disproportion s’apprécie au jour de l’assignation
  2. Le plan est inopposable à la sous-caution → il ne modifie pas l’appréciation
  3. MAIS l’exigibilité réelle intervient après l’échec du plan → report de l’appréciation

Résultat pratique : Si la sous-caution peut faire face au moment pertinent, elle doit payer, même si son engagement était initialement disproportionné.

Les risques du sous-cautionnement : un mécanisme dangereux

1. Un report systématique du risque d’insolvabilité

L’arrêt révèle la dangerosité du sous-cautionnement :

  • ❌ Pas de protection par le plan de sauvegarde
  • ❌ Exception de retour à meilleure fortune applicable
  • ❌ Position de garant « de second rang » sans protection renforcée
  • ❌ Risque de supporter seul l’insolvabilité finale

En clair : La sous-caution est le dernier rempart et supporte l’essentiel du risque, sans bénéficier des protections accordées aux garants directs.

2. Une spécialisation croissante du régime juridique

Plusieurs décisions récentes révèlent un traitement spécifique du sous-cautionnement :

Printemps 2025 : Pas de devoir de mise en garde de la caution professionnelle envers sa sous-caution (Com. 2 avril 2025)

Automne 2024 : La déclaration de créance par la caution interrompt la prescription contre la sous-caution (Com. 9 octobre 2024)

Juillet 2025 : Inopposabilité du plan de sauvegarde (arrêt commenté)

3. Le paradoxe du sous-cautionnement

Théorie : La sous-caution n’est pas un codébiteur solidaire, elle ne doit rien supporter au stade définitif

Pratique : Elle se retrouve souvent à supporter seule le coût de l’insolvabilité du débiteur principal

Les évolutions du nouveau droit des sûretés (post-2022)

1. La suppression de l’exception de retour à meilleure fortune

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a modifié profondément le régime :

Ancien droit (art. L. 332-1 C. consom.) :

  • Appréciation à la conclusion ET au jour de l’appel
  • Exception de retour à meilleure fortune

Nouveau droit (art. 2300 C. civ.) :

  • Appréciation uniquement à la formation du contrat
  • Pas d’exception de meilleure fortune

2. Impact sur le sous-cautionnement

Bonne nouvelle : La problématique de l’appréciation différée va progressivement disparaître

Maintien : L’inopposabilité du plan de sauvegarde à la sous-caution reste d’actualité, car aucune disposition nouvelle ne vient la contester

3. L’article 2291-1 nouveau du Code civil

Le nouveau Code civil reconnaît expressément le sous-cautionnement et affirme qu’il « n’est rien d’autre qu’un cautionnement ».

Conséquence attendue : Application des règles du cautionnement classique, mais avec les spécificités jurisprudentielles maintenues (inopposabilité du plan, etc.).

Conseils pratiques du cabinet Politano

1. Pour les sous-cautions (particuliers)

Avant de vous engager :

  • Comprenez que vous êtes en « bout de chaîne »
  • Ne comptez pas sur le plan de sauvegarde du débiteur
  • Évaluez votre patrimoine au moment de l’engagement (nouveau droit)
  • Mesurez l’impact d’une défaillance complète du débiteur

Moyens de défense possibles :

  • Disproportion à la conclusion (nouveau droit)
  • Vice du consentement (dol, erreur)
  • Défaut de forme de l’acte
  • Prescription de l’action

Moyens inopérants :

  • Plan de sauvegarde, redressement ou liquidation du débiteur
  • Exceptions liées à la dette principale
  • Difficultés financières de la caution principale

2. Pour les cautions professionnelles

Sécurisation de votre position :

  • Le sous-cautionnement est très efficace juridiquement
  • Pas de devoir de mise en garde envers la sous-caution (ancien droit)
  • Le plan de sauvegarde ne vous prive pas de votre recours
  • Agissez rapidement après avoir payé le créancier

Points de vigilance :

  • Vérifiez la solvabilité de vos sous-cautions
  • Formalisez correctement les engagements
  • Surveillez les délais de prescription
  • Déclarez vos créances aux procédures collectives

3. Pour les créanciers (banques)

Avantages du sous-cautionnement :

  • Renforce la sécurité de vos garanties
  • Permet d’accepter des financements plus importants
  • Crée une chaîne de responsabilité

Limites à connaître :

  • Vous n’avez pas d’action directe contre la sous-caution
  • La complexité peut générer des litiges
  • Le formalisme doit être respecté à chaque niveau

4. Pour les juristes et avocats

Rédaction des actes :

  • Distinguer clairement cautionnement et sous-cautionnement
  • Préciser l’objet de chaque garantie
  • Anticiper les procédures collectives
  • Prévoir des clauses de résiliation/substitution

Contentieux :

  • Vérifier la date d’assignation vs date du plan
  • Analyser la disproportion au bon moment
  • Ne pas tenter d’opposer le plan de sauvegarde pour la sous-caution
  • Maîtriser l’articulation entre ancien et nouveau droit

Transposition au nouveau droit : que retenir ?

Solutions applicables après le 1er janvier 2022 :

Maintenues :

  • Inopposabilité du plan de sauvegarde à la sous-caution
  • Distinction entre cautionnement et sous-cautionnement
  • Pas de devoir de mise en garde de la caution vers la sous-caution

Évolution :

  • Suppression de l’exception de retour à meilleure fortune
  • Appréciation de la disproportion uniquement à la conclusion
  • Simplification du contentieux

Impact pratique : Les difficultés temporelles vont progressivement se tarir, mais le risque porté par la sous-caution reste entier.

Un arrêt de référence pour la pratique des affaires

Cette décision du 9 juillet 2025 constitue un jalon majeur dans la construction jurisprudentielle du sous-cautionnement.

Les trois enseignements clés

1. Inopposabilité claire du plan de sauvegarde La sous-caution ne peut invoquer aucun mécanisme protecteur réservé aux garants directs du débiteur

2. Appréciation différée de la capacité à payer Le patrimoine s’analyse au moment où le plan n’est plus respecté, pas au jour de l’assignation

3. Dangerosité accrue du sous-cautionnement La sous-caution supporte un risque majeur sans les protections des garants classiques

Un mécanisme efficace mais risqué

Le sous-cautionnement se révèle être un outil redoutablement efficace pour les cautions professionnelles :

  • Sécurisation quasi-totale de leur recours
  • Mécanismes protecteurs écartés pour la sous-caution
  • Multiplication des décisions favorables

Mais pour la sous-caution personne physique, c’est un engagement à haut risque qu’il faut mesurer avec la plus grande prudence.

L’avenir du sous-cautionnement

Le nouveau droit des sûretés maintient et reconnaît expressément ce mécanisme. La jurisprudence continuera donc à spécialiser son régime, créant de facto une catégorie particulière de cautionnement aux règles spécifiques.

Pour les particuliers sollicités en tant que sous-cautions, la plus grande prudence est de mise. Vous êtes le dernier rempart sans filet de sécurité.

💡 Vous envisagez de vous porter sous-caution ou êtes déjà engagé ? Vous êtes une caution cherchant à sécuriser votre recours ? Consultez un avocat compétent en droit des sûretés pour évaluer précisément vos droits et risques.

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