Contentieux pénal – procédure pénale – Maitre POLITANO Jean Baptiste – Expert en droit pénal
L’encadrement des réquisitions en matière de données de connexion et d’interceptions téléphoniques : une consolidation jurisprudentielle
Note sous Crim. 3 avril 2024
Dans un arrêt remarqué du 3 avril 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient préciser les conditions de validité des réquisitions en matière de données de connexion et d’interceptions téléphoniques. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante tout en apportant des éclaircissements bienvenus sur plusieurs points contentieux. L’espèce concernait une enquête préliminaire portant sur des faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, au cours de laquelle des interceptions téléphoniques et l’exploitation de données de connexion avaient permis de confirmer la mise en cause des suspects.
I. L’encadrement des réquisitions relatives aux données de connexion
A. Le degré de précision requis pour l’autorisation préalable du procureur
La question centrale portait sur le niveau de précision exigé pour l’autorisation préalable donnée par le procureur de la République aux enquêteurs pour effectuer des réquisitions d’accès aux données de connexion. En l’espèce, l’autorisation permettait « de procéder à toutes les réquisitions d’accès à des données de trafic et de localisation nécessaires aux investigations et proportionnées à la gravité des faits ».
Les requérants contestaient le caractère général de cette autorisation, arguant qu’elle ne précisait ni la finalité de la mesure, ni les lignes téléphoniques concernées, ni la durée des réquisitions. Ils s’appuyaient notamment sur la jurisprudence de la CJUE (CJUE 2 mars 2021, Prokuratuur) exigeant que l’autorisation d’accès aux données de connexion soit limitée dans le temps et fasse l’objet d’un contrôle préalable de proportionnalité.
La Cour de cassation adopte une position pragmatique, validant l’autorisation dès lors que :
- Elle mentionne expressément la nécessité et la proportionnalité des réquisitions
- Elle s’inscrit dans le cadre d’une enquête préliminaire précisément identifiée
- Les réquisitions effectuées sont effectivement nécessaires et proportionnées
B. Le contrôle a posteriori des réquisitions effectuées
La Haute juridiction privilégie une approche concrète, centrée sur l’analyse des réquisitions effectivement réalisées plutôt que sur le formalisme de l’autorisation. Elle vérifie que :
- Les réquisitions étaient nécessaires aux investigations
- Elles étaient proportionnées à la poursuite des infractions en cause
- La conservation des données était justifiée par la lutte contre la délinquance et la criminalité graves
Cette position s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure (Crim. 12 juill. 2022, n° 21-83.710) considérant que les réquisitions valent « injonction de conservation rapide » des données.
II. L’encadrement des interceptions téléphoniques
A. La compétence de l’agent de police judiciaire
La Cour apporte une clarification importante sur les pouvoirs des agents de police judiciaire (APJ) en matière d’interceptions téléphoniques. Elle affirme qu’un APJ peut, sous le contrôle d’un OPJ :
- Requérir l’installation d’un dispositif d’interception
- Procéder aux opérations matérielles d’interception
- Participer à la retranscription des communications
Cette position s’appuie sur une lecture extensive des textes du code de procédure pénale relatifs aux compétences des APJ.
B. Les modalités du contrôle exercé par l’OPJ
La décision précise utilement les conditions du contrôle exercé par l’OPJ sur les actes de l’APJ :
- Aucune disposition légale n’impose des modalités particulières de contrôle
- Le contrôle peut être attesté par la signature de l’OPJ sur les procès-verbaux de retranscription
- Cette signature démontre que l’OPJ a pu s’assurer de la conformité des réquisitions
- Le contrôle n’a pas besoin d’être préalable à l’installation du dispositif
La Cour instaure par ailleurs un système de double contrôle :
- Premier niveau : contrôle hiérarchique de l’OPJ sur l’APJ
- Second niveau : contrôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention
III. Les conditions de contestation des actes
A. La nécessité d’un grief
La Cour rappelle que l’irrégularité de l’autorisation préalable du procureur n’affecte qu’un intérêt privé. En conséquence :
- Le requérant doit établir l’existence d’un grief lui causant un préjudice
- Ce préjudice doit constituer une ingérence injustifiée dans sa vie privée
- La simple mise en cause par l’acte critiqué ne peut constituer le préjudice requis
B. L’appréciation globale de la régularité de la procédure
La décision privilégie une appréciation d’ensemble de la régularité de la procédure, en permettant de se référer à différentes pièces du dossier pour établir les conditions de réalisation d’un acte (Crim. 28 sept. 2010, n° 10-82.699 P).
En conclusion
Cette décision importante s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel visant à concilier efficacité des investigations et protection des droits fondamentaux. Elle adopte une approche pragmatique, privilégiant le contrôle concret des actes d’enquête sur un formalisme excessif, tout en maintenant des garanties procédurales essentielles. La position de la Cour de cassation apparaît ainsi équilibrée, même si certains pourront regretter un relatif assouplissement des exigences formelles concernant l’autorisation préalable du procureur.
La décision apporte également des précisions bienvenues sur les pouvoirs des APJ et les modalités de leur contrôle par les OPJ, contribuant ainsi à sécuriser les pratiques d’enquête tout en préservant la hiérarchie entre ces deux catégories d’enquêteurs.
Implications pratiques
Cette décision a des implications importantes pour la pratique :
- Pour les magistrats du parquet :
- Nécessité de mentionner expressément la nécessité et la proportionnalité des réquisitions dans les autorisations
- Possibilité de donner des autorisations relativement générales dans le cadre d’une enquête déterminée
- Pour les enquêteurs :
- Confirmation du pouvoir des APJ de requérir des interceptions sous contrôle
- Importance de la traçabilité du contrôle de l’OPJ via les procès-verbaux
- Pour les avocats :
- Nécessité de démontrer un grief concret pour contester les réquisitions
- Possibilité de contester la proportionnalité des mesures effectivement réalisées